Pieter de Hooch, Homme lisant une lettre à une femme, 1670-1674 (détail).
Il s'agit d'une exposition de grande qualité organisée à la Pinacothèque de Paris. Les différents genres de la peinture hollandaise y sont présentés (portraits, natures mortes, scènes bibliques, vie quotidienne, marines...) et chaque tableau est une pièce de choix devant laquelle je pourrais rester des heures.
Judith Leyster, Nature morte à la corbeille de fruits, 1635-1640 (détail).
Adriaen Thomasz Key, Portrait d'un Grand d'Espagne (détail).
Grande admiratrice de la peinture hollandaise et des Pays-Bas (des photos d'Amsterdam viendront bientôt!), j'étais déjà conquise avant même de voir l'exposition. Mais quand on se retrouve face à ces tableaux, c'est toujours une surprise captivante : quelle lumière!
Rembrandt, Vieil homme en buste avec un turban, 1627-1628 (détail).
Benjamin Gerritsz Cuyp, Ecrivain oriental taillant sa plume, 1640-1650 (détail).
Rarement des peintres ont pu atteindre une telle intensité et en même temps de telles nuances dans le traitement des ombres et des lumières. Il y a aussi un rendu précis et vivant des matières et des textures dont j'essaie (modestement) de m'inspirer en photo.
Jacob van Loo, Danaé, 1655-1660 (détail).
Enfin les portraits transcrivent une humanité et une compassion profondes : on sent une grande confiance en l'homme.
Michael Sweerts, Jeune servante, 1660 (détail).
Gerrit Van Honthorst, Le repentir de saint Pierre, 1618-1620 (détail).
Dans cette exposition, j'ai été particulièrement marquée par les scènes de tempêtes de mer. Le rendu de la lumière, de la profondeur, des couleurs fait des ces tableaux des images totalement hypnotisantes, en mouvement permanent.
Lieve Verschuier, Navires dans une violente tempête, 1650 (détail).
Aernout Smit, Navires sur une mer déchaînée (détail).
Il s'agit de détails; les tableaux en version complète sont visibles sur le site de la collection Kremer.
Pour compléter cette très belle exposition, j'ai découvert les essais de l'historien et philosophe Tzvetan Todorov, en particulier Eloge du quotidien, essai sur la peinture hollandaise du XVIIe siècle. Il s'agit d'un ouvrage passionnant dans lequel Todorov présente très clairement les conditions d'émergence de la peinture du quotidien dans les Provinces-Unies du XVIIe.
A partir de tableaux précis, le livre évoque la naissance de la peinture de genre, une peinture qui met en valeur les gestes quotidiens même les plus banals. Comment expliquer l'apparition du quotidien comme principal sujet d'un tableau? Todorov renvoie tout d'abord au contexte des Provinces-Unies au XVIIIe. Le protestantisme hollandais explique en partie l'attention portée au quotidien, d'une part avec l'iconoclasme qui détache la peinture des sujets religieux, d'autre part avec la valorisation de la vie séculière. Les Provinces-Unies sont également une puissance commerciale attachée aux valeurs pacifiques. Face au monde, place d'argent et de vices nécessaires, la maison, l'intérieur et les vertus domestiques sont ainsi louées. Et par là même, les femmes, gardiennes de cet intérieur vertueux, sont omniprésentes dans la peinture hollandaise.
Gerard Ter Borch, Femme pelant une pomme.
Si la peinture hollandaise du quotidien se focalise sur l'intérieur, un peintre, Pieter de Hooch, s'est attaché à imbriquer extérieur et intérieur, agitation et calme, lumière et ombre. Pour moi, cela donne des tableaux très intéressants en termes de représentation de l'architecture.
Pieter de Hooch, Garçon avec corbeille.
Mais Todorov ne se contente pas uniquement d'une analyse historique et contextuelle. Il s'intéresse au sens de cette peinture du quotidien. Au-delà de leur réalisme, les tableaux du quotidien peuvent avoir des résonances allégoriques; les relations amoureuses peuvent être évoquées par les scènes de musique ou de lettres, la consommation d'huitres (réputées aphrodisiaques) suggère quant à elle l'amour physique.
Jan Steen, Mangeuse d'huîtres.
Gabriel Metsu, Homme écrivant une lettre.
Si ces tableaux peuvent avoir une connotation morale, l'ambiguité néanmoins demeure oscillant entre "éloges et blâmes". Le regard des personnages et leur disposition dans l'espace (avec souvent une opposition entre le "centre thématique" c'est-à-dire le personnage principal sur le plan narratif, et le "centre pictural", le personnage mis en lumière par des procédés esthétiques) interrogent le spectateur; ainsi ces tableaux "suggèrent et évoquent, plutôt que d'affirmer directement".
Gerard Ter Borch, Curiosité : exemple d'opposition entre la jeune femme écrivant,
centre thématique car au coeur de l'action, et la femme de gauche, centre pictural car sa robe de satin attire le regard.
Le plus frappant dans la peinture hollandaise est l'amour porté par les peintres au monde matériel et visible. Et en rendant beau le quotidien, les peintres hollandais affirment le pouvoir même de la peinture : "le peintre hollandais ne trouve pas nécessairement le beau dans un répertoire constitué de formes, mais peut décider par lui-même de montrer le beauté d'un geste que personne n'avait magnifié jusque-là".
Johannes Vermeer, Le collier de perles.
Les peintres hollandais "ont découvert que le beauté pouvait imprégner la totalité de l'existence" : un constat particulièrement réjouissant aujourd'hui !
A noter un autre essai de Todorov, Eloge de l'individu, essai sur la peinture flamande de la Renaissance. Mais c'est une autre histoire...